L’affaire Carl Dorélien

PRECIS | CONTEXTE | PROCEDURE LEGAL

Précis

Le CJA a déposé deux affaires parallèles devant un tribunal fédéral et un tribunal de l’État de Floride contre le colonel Carl Dorélien-ancien membre du Haut Commandement militaire des Forces armées d’Haïti. Au cours de la dictature de 1991-1994 en Haïti, Dorélien présidait à de graves violations des droits de l’homme commises contre des civils. Après l’effondrement de la dictature en 1994, Dorélien a fui aux États-Unis avec de nombreux autres membres de FADH. Sa présence aux États-Unis est devenue largement connue, dès qu’il a gagné 3,2 millions de dollars en 1997 à la loterie de Floride.

En Février 2007, un jury fédéral a tenu Dorélien pour responsable de la torture, les exécutions extrajudiciaires, les détentions arbitraires et les crimes contre l’humanité. Dorélien fut condamné à verser 4,3 millions de dollars de dommages et intérêts. Six mois plus tard, le CJA a réussi à récupérer le reste de ses gains de loterie. Nous avons distribué 580,000 dollars à nos clients haïtiens: Lexiuste Cajuste, Marie Jeanne Jean et ses enfants.

Contexte

Jean-Bertrand Aristide, le premier président d’Haïti démocratiquement élu, a pris ses fonctions le 7 Février 1991. Peu de temps après, il fut renversé au cours d’un violent coup d’État mené par des éléments mécontents de l’armée et soutenu par des élites économiques du pays. D’Octobre 1991 à Septembre 1994, un régime militaire inconstitutionnel a dirigé Haïti. Ce régime a été caractérisé par la violation des droits de l’homme généralisé ; des abus systématiques ont été commis par les FADH par des escadrons de la mort adjoints aux forces régulières. Des rapports sur les droits de l’homme impliquaient les FADH et ses partenaires dans les assassinats extrajudiciaires, les disparitions, la torture et la détention arbitraire. Plusieurs milliers d’Haïtiens furent tués au cours de cette période, pendant que des dizaines de milliers d’autres furent contraints à fuir le pays.

Le demandeur Lexiuste Cajuste, fut arbitrairement arrêté en 1993, en raison de son rôle comme leader d’un syndicat et militant pro démocratie. Cajuste fut gravement torturé par des soldats de FADH sous le commandement de Dorélien. Suite à la pression internationale, Cajuste fut finalement relâché et s’est enfui aux États-Unis. Miraculeusement, il a survécu à ses sévices, mais, quatorze ans après l’épreuve, il souffre encore de graves handicaps physiques liés à sa torture.

La demanderesse Marie Jeanne Jean a perdu son mari, Michel Pierre, le 22 avril 1994, quand les forces militaires et paramilitaires l’ont abattu au cours d’une opération dans le quartier de Raboteau. Cette razzia est vite devenue un massacre lorsque des militaires ont visé des civils de ce quartier littoral à la périphérie de la ville de Gonaïves, un quartier dont la réputation était fortement pro Aristide.

Dans la razzia, des unités des FADH et du FRAPH ont œuvré de concert pour terroriser la communauté. Ils auraient tué jusqu’à une centaine de civils non armés. Bon nombre de personnes tuées furent abattues dans leurs bateaux, lorsqu’ils essayaient de fuir le massacre. Les corps de certaines de ces victimes furent jetés dans l’océan, ce qui rend impossible de connaître le nombre exact de décès. Dans les jours qui ont suivi le massacre, des parties de corps humains continuaient à s’échouer sur la plage, mutilées soit par les agresseurs soit par les requins.

Le CJA a également introduit une action en justice contre l’un des responsables des paramilitaires qui a participé au massacre Raboteau : le chef du FRAPH, Emmanuel «Toto» Constant.

» Lire ici pour plus d’informations sur l’affaire Constant.

Le procès de Raboteau en Haïti

Les survivants du massacre de Raboteau ont commencé à réclamer justice, dès le lendemain de l’attaque, quand ils ont déposé des plaintes en Haïti auprès d’un juge local. Par la suite, notre partenaire en Haïti, le Bureau des Avocats Internationaux (BAI) a déposé de nombreuses plaintes contre des hauts dirigeants militaires et paramilitaires. Alors que la procédure légale était en course, plusieurs des accusés ont fui le pays, dont un certain Dorélien, qui s’est réfugié aux É.-U. En 2000, cette procédure a culminé dans la condamnation par contumace de Dorélien et 52 autres officiers de FADH et membres du FRAPH, après un procès historique qui dura six semaines. Cet arrêt a aussi accordé aux demandeurs une somme importante de dommages et intérêts.

Lire ici pour en savoir plus sur le procès du massacre de Raboteau en Haïti.

Procédure Légale

L’affaire fédérale


Plainte

Le 24 janvier 2003, le CJA a déposé une poursuite auprès de la Cours fédérale de Miami au nom de Jean Marie Jeanne et ses deux jeunes enfants contre l’ancien colonel Dorélien. Plus tard, en Octobre 2003, le CJA a modifié la plainte pour ajouter les revendications du demandeur Lexiuste Cajuste.

Dorélien avait déjà été arrêté en 2001 dans le cadre de son rôle présumé dans des violations de droits de l’homme, la plainte a donc été délivrée à Dorélien alors qu’il était sous la garde des services d’immigration des É.-U, le 25 janvier 2003.

Deux jours plus tard, le 27 janvier 2003, il fut expulsé vers l’Haïti. Après son rapatriement en Haïti, Dorélien a été placé en garde à vue pour la condamnation par contumace dans le procès de Raboteau. En vertu de la loi haïtienne sur les condamnations par contumace, il a eu le droit à un nouveau procès, mais, il n’a pas choisi de l’exercer. Cependant, un an plus tard, la violence politique a éclaté de nouveau en Haïti en 2004 et le Président Aristide fut évincé de ses fonctions. Dans le chaos, Dorélien et plusieurs autres condamnés du procès de Raboteau furent libérés de prison. Actuellement, ils vivent librement et ouvertement en Haïti. 

Rejet et appel

Pendant ce temps, le 21 avril 2004, la Cours fédérale du district sud de la Floride a rejeté entièrement la poursuite, estimant que les revendications de Lexiuste Cajuste n’avaient pas été déposées dans les dix années de prescription du Alien Tort Statute (Statut de délits étrangers) et que la demanderesse Marie Jeanne Jean n’avait pas épuisé les autres voies de recours à sa disposition en Haïti.  Le CJA a porté la question en appel à La Cours d’appel du 11e circuit.

Le 1 décembre 2005, la Cours d’appel a cassée ce jugement, en estimant que la prescription de dix ans qui s’attache au Alien Tort Statute aurait dû être prolongée, étant donné les circonstances extraordinaires de la dictature en Haïti de 1993 à 1994.

Le 11e circuit a également abordé la question de l’épuisement des voies de recours, en jugeant que le Alien Tort Statute n’établit pas une telle obligation  et que le Torture Victim Protection Act constate qu’il tombe au défendeur et non pas au demandeur de prouver que les autres voies de recours sont encore disponibles.  La Cour a renvoyé l’affaire devant le tribunal de district inférieur.

Procès et verdict

Le 23 février 2007, après un procès de quatre jours, un jury fédéral à Miami a tenu Dorélien pour responsable de la torture, les exécutions extrajudiciaires, les détentions arbitraires et les crimes contre l’humanité. Dorélien fut condamné à payer 4,3 millions de dollars de dommages et intérêts.

Dorelién n’a jamais participé à la procédure et n’a jamais contesté l’issue du procès, un jugement a donc été inscrit à la suite du verdict le 16 août 2007. Le temps permis pour déposer une demande d’appel contre le verdict ayant expiré, l’arrêt est donc absolu.

L’affaire Dorélien devant la Cours d’État de Floride 



Pendant que Dorélien vivait aux États-Unis dans les années 90, il a gagné plus de 3 millions de dollars à la loterie de Floride. En vertu de la loi à l’époque, il a reçu des paiements annuels de $ 159.000. Après le début de l’affaire fédérale menée par le CJA en Janvier 2003, Dorélien a tenté de vendre ses droits aux paiements annuels en échange d’une somme forfaitaire.

En réponse, le CJA et ses partenaires—les avocats du cabinet Holland & Knight et l’avocat John Thornton—se sont opposés à la transaction devant la Cour du deuxième circuit de Leon County, en Floride. Nous avons affirmé que la tentative de Dorélien de convertir ses paiements annuels en une somme en capital constituait un transfert frauduleux par lequel Dorélien cherchait à conserver son patrimoine hors de la portée de ses créanciers, y compris nos clients.

En Septembre 2004, le CJA a obtenu une ordonnance de la Cours d’État de la Floride qui bloquait le transfert de près de 1 million de dollars à Dorélien. Le juge a ordonné que l’argent soit versé sur un compte séquestre sous le contrôle de la Cour.

Entretemps, le CJA a œuvré à rendre l’arrêt civil haïtien issu du procès de Raboteau, exécutoire en Floride. Finalement, en août 2006, la Cour d’État de Floride a accepté que le jugement haïtien soit exécuté aux Etats-Unis. Peu de temps après, Dorélien a déposé un appel de cette décision. Le 8 août 2007, la Cour d’appel du premier district de Floride a confirmé la juridiction inférieure et a maintenu l’application de l’arrêt haïtien, ce qui épuisait les recours de Dorélien. À ce point-là, le CJA et ses partenaires étaient en mesure de recouvrer l’argent dans le compte séquestré.

En conséquence, en Janvier 2008 et en Avril 2008, nous avons distribué $ 580.000 à nos clients: Lexiuste Cajuste, Marie Jeanne Jean et ses enfants. Cajuste utilise une partie de la récupération pour financer The Hope Center for Haitian Refugees (Centre de l’espoir pour les réfugiés haïtiens), une organisation qu’il a fondée pour fournir des services sociaux aux réfugiés haïtiens. La demanderesse Marie Jean a choisi de diviser sa part entre les 90 survivants du massacre de Raboteau. En Mai 2008, ont été distribué plus de $ 400.000 aux victimes de Raboteau, lors d’une réunion de la communauté à Gonaïves en Haïti. Le moment de la distribution de cette somme était particulièrement propice pour les habitants de Raboteau, puisqu’il coïncidait avec la crise alimentaire de 2008.