L’affaire Emmanuel «Toto» Constant

PRECIS | CONTEXTE | PROCEDURE LEGALE

Précis


Le 22 décembre 2004,  le CJA a déposé une plainte à la Cour fédérale du district sud de New York contre l’Haïtien Emmanuel «Toto» Constant, le fondateur et dirigeant du FRAPH, un escadron de la mort sous le régime militaire de 1991 à 1994.

Le 16 août 2006, la Cour fédérale a émis un jugement par défaut contre Constant pour sa participation dans des tentatives d’exécutions sommaires, des actes de torture, des traitements cruels, inhumains ou dégradants, des violences contre les femmes et des crimes contre l’humanité. Les demandeurs ont reçu un jugement de 19 millions de dollars de dommages et intérêts compensatoires et punitifs. Cet arrêt marque un tournant, puisque c’est  la première fois qu’un individu est tenu pour responsable de la campagne étatique de violence sexuelle en Haïti.

Constant a fait appel de l’arrêt auprès de la Cour d’appel du deuxième circuit. La décision est en attente.

Contexte


En septembre 1991, Jean-Bertrand Aristide, le premier président démocratiquement élu d’Haïti, a été renversé par l’armée haïtienne. A sa place, l’armée a imposé une nouvelle dictature militaire. Pendant trois ans, ce régime engendra l’une des périodes les plus sanglantes de l’histoire d’Haïti.  Au moins 4000 personnes ont été tuées pendant cette période, des centaines de milliers ont été torturées, emprisonnées ou contraintes à l’exil par les Forces armées d’Haïti (FADH) et l’organisation paramilitaire FRAPH, un acronyme du «Front Révolutionnaire Armé pour le Progrès d’Haïti» dont les évocations exigent peu d’explications.

Emmanuel «Toto» Constant, dont le père était commandant dans l’armée sous le dictateur François Duvalier, a pris comme modèle les unités paramilitaires Duvalieristes, les «Tontons Macoutes » pour créer le FRAPH. Constant était secrétaire général et porte-parole de l’organisation.

En 1993 et 1994, le FRAPH œuvrait de concert avec le FADH pour intimider des éléments pro démocratie de la population civile.  Le FRAPH brutalisait les opposants soupçonnés de la dictature, en employant des exécutions extrajudiciaires, des disparitions forcées, des détentions arbitraires, des viols et autres tortures et violences contre les femmes.  Ces actions violentes, prises à l’encontre des quartiers les plus pauvres d’Haïti, aggravaient les fardeaux de la maladie, la malnutrition et la misère qui opprimaient déjà ces communautés.

La violence contre les femmes en Haïti

 Le FRAPH était responsable de nombreuses violations des droits de l’homme, y compris le massacre de Raboteau en 1994 – une attaque menée du 18 au 22 avril 1994 par des unités militaires et paramilitaires contre les résidents de Raboteau, un quartier populaire qui aurait hébergé des militants pro démocratie.  Or, de toutes les atrocités que l’on attribue au FRAPH, leur tactique la plus marquante était des assauts contre les femmes.  Le viol et la mutilation ont été utilisés comme des armes de guerre, afin de punir ou d’intimider des femmes pour leurs associations politiques ou pour celles de leurs familles. 

Le modus operandi de FRAPH était de faire équipe avec des membres des forces armées haïtiennes en menant des rafles de nuit dans les quartiers pauvres de Port-au-Prince, Gonaïves et d’autres villes où le soutient d’Aristide était manifeste. Dans un raid typique, les assaillants saccageaient une maison en recherchant des preuves d’activité en faveur de la démocratie. Souvent, les hommes étaient enlevés et soumis à la torture. Le destin de certains d’entre eux fut l’exécution sommaire. Dans le même temps, des soldats et des paramilitaires auraient violé les femmes de la maison, souvent devant les autres membres de la famille. Ni les enfants, ni les plus âgés n’auraient été épargnés. Certaines victimes n’avaient que 10 ans, d’autres étaient des grands-mères de 80 ans. Des survivants rapportent que des fils ont parfois été forcés de violer leur propre mère.

Le proces raboteau en haïti

En 1994, l’armée états-uniennes est intervenue en Haïti pour garantir le retour au pouvoir du Président Aristide. Le 15 octobre 1994, Aristide a repris son office et a commencé à dissoudre les FADH. Quelques mois après, Aristide a lancé un mandat pour l’arrestation de Constant. Cependant, Constant a fui le pays et s’est rendu aux États-Unis en Décembre 1994.

Mais la présence de Constant aux Etats-Unis fit scandale auprès de la communauté Haïtien émigrées.  En réponse, le gouvernement ordonna son expulsion en 1995.  Trois mois plus tard, Constant apparaissait au télé journal «60 Minutes», où il révèlait qu’il avait été un agent payé de la CIA pendant le régime militaire en Haïti. Un peu plus tard, et pour des raison non divulguées, les autorités états-uniens ont modifié leur position et lui ont permis de rester.

Cependant, en novembre 2000, Constant a été condamné par contumace en Haïti pour complot et complicité de meurtre dans le massacre de Raboteau de 1994. D’après le jugement, Constant et les 36 autres officiers du haut commandement des FADH, ont assumé la responsabilité de supérieur pour la conduite illégale de leurs subordonnés.  Malgré la condamnation en Haïti, Constant continuer de vivre librement à New York, où il s’été lancé dans une nouvelle carrière d’agent immobilier.

Lire ici pour en savoir plus sur le procès Raboteau en Haïti

Procédure légale


Action civile

Le 22 décembre 2004, le CJA et des avocats pro bono du cabinet Sonnenschein Nath & Rosenthal LLP et du Center for Constitutional Rights ont introduit une action civile.  La plainte a été logée auprès de la Cour fédérale du district sud de New York sous le Alien Tort Statute (Statut de délits étrangers) et le Torture Victim Protection Act (Loi sur la protection des victimes de la torture).

En tant que chef du FRAPH, Constant était responsable de ses subordonnés en vertue de la doctrine internationalement reconnue de la responsabilité de supérieur. En raison de la crainte de représailles, les demandeurs ont déposé leur demande anonymement.

Jugement par défaut

La plainte a été délivrée à Constant le 14 Janvier 2005. Cependant, il n’a pas répondu. Le 16 août 2006, la Cour a accordé à la demande un jugement par défaut contre Constant.  Une audience pour déterminer des dommages et intérêts a eu lieu le 29 août 2006, devant le juge Sidney Stein du district sud de New York.

Une fois de plus, Constant a refusé de participer à la procédure. Lors de l’audience, le CJA a présenté des preuves, y compris le témoignage de deux de ses clients. Pour des raisons de sécurité, ces clients ont témoigné derrière un écran.

Le juge a ordonné à Constant de payer $19 millions en dommages-intérêts aux clients du CJA. Dans l’ordonnance, le juge Stein a déclaré:

«La conduite de Constant est manifestement malveillante. En tant que commandant du FRAPH, Constante a fondé et dirigé une organisation dont le but principal était de terroriser et torturer les opposants politiques du régime militaire. Sa direction – ou, au minimum, son approbation – de la campagne de violence de FRAPH, sous couvert de droit, constitue une violation injustifiable du droit international et mérite une vive peine.»

Procès criminel pour escroquerie au crédit immobilier

En Juillet 2006, au milieu de l’affaire civile, Emmanuel Constant a été arrêté dans le cadre d’un complot d’escroquerie au crédit immobilier à New York. La détention de Constante a été effectuée quelques semaines avant que le jugement civil ai été déclaré.

Le 28 Octobre 2008, Constant a été condamné de 12 à 37 ans de prison pour fraude. Cette peine est le résultat directe des mesures prises par le CJA pour sensibiliser le gouvernement des États-Unis sur les violations de droits de l’homme commise par Constant.

Un résumé de l’intervention du CJA dans le procès d’escroquerie est disponible ici. (En anglais)

Déclaration d’intérêt du département d’État

Le 27 Septembre 2006, John B. Bellinger III, conseiller juridique du département d’État états-unien, a répondu à la sollicitation du juge Stein de l’avis du Département d’État en matière de Doe v. Constant.  Sans contester que la plainte était bien-fondée, Bellinger a exprimé certaines préoccupations indéterminées au sujet de l’interprétation de la Cours des principes juridiques liés au droit international coutumier.  Pour éviter ses enjeux, Bellinger a suggéré que le juge Stein introduise un jugement  «sans approuver les thèses défendues dans la plainte.»

En revanche, le 24 Octobre, le juge Stein a rendu une ordonnance sur les conclusions de fait et les conclusions de droit qui confirmait les théories énoncées  par les demandeurs, qui portent sur la doctrine de responsabilité de supérieur.

Demande d’annulation et d’appel

Vingt-deux mois après que le jugement par défaut ai été conclu contre lui, Constant a répondu. Il a déposé une demande contestant la compétence de la Cour de district et demandant l’annulation du jugement. En réponse, le juge Stein a déclaré que le défaut de Constant de comparaître dans la procédure était inexcusable. La Cour n’a pas hésité à rejeter les allégations selon lesquelles l’incarcération de Constant l’avait empêché de répondre et que son avocat devait s’en occupait. La demande d’annulation a été rejetée le 30 Juillet, 2008.

Le 23 Mars 2009, Constant a lancé un appel auprès de La Cour d’appel du deuxième circuit. Il a choisi de rédiger sa propre demande.  En avril 2009, le CJA à conclut notre réponse ; nous sommes convaincus que le jugement contre Constant survivra à l’appel.